Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 10 Janvier 2022
Restées discrètes un certain temps, ce en pleine pandémie, les éditions Vega ont su se relancer depuis qu'elles ont intégré le groupe Dupuis, devenant par la même occasion Vega Dupuis. Le début d'année 2022 signe peut-être le lancement des récits les plus ambitieux de l'ayant-droits, car c'est en ce mois de janvier que nous pouvons découvrir Manchuria Opium Squad, sans doute l'un des titres montant de la maison Kôdansha. Thriller historique, le manga naît en avril 2020 au Japon, prépublié à la fois dans le Young Magazine et sur le site Comic Days, et dénombre à ce jour 6 volumes. L'intrigue est écrite par Tsukasa Monma, un auteur qui a une poignée d'œuvre à son compteur depuis la fin des années 2010, tandis que Shikako en est l'illustrateur. Ce dernier n'est pas un inconnu chez nous puisque nous connaissons de lui le court manga sportif Full Drum, qu'il a écrit et dessiné sous le nom Tohru Hakoishi. Dans les années 1930, la Mandchourie est partagée entre domination chinoise et japonaise. C'est dans ce contexte que le jeune et frêle Isamu Higata est réquisitionné pour service l'armée du Guandong, côté Japan. Mais sur le front, il perd l'usage de son œil droit, un handicape qui le mène à cultiver les terres agricoles pour l'état. Le travail n'a rien d'idyllique, sans compter que sa mère tombe grièvement malade, et que ni Isamu ni ses frères et sœurs ont de quoi payer ses soins. Fin herbologiste, il tombe sur un champ de pavot caché, ce qui pourrait être la clé pour que le jeune homme puisse sauver sa mère mourante. Car du pavot naît l'opium, une puissante drogue très convoitée. En se lançant dans sa production presque par hasard, Isamu venait de mettre en marche les rouages de son destin, et possiblement ceux de la Mandchourie. Avec ses airs de manga à suspense sur fond historique, une Histoire que nous ne voyons d'ailleurs qu'assez peu dans les mangas parus en France, Manchuria Opium Squad ne manque pas d'intérêt dès ses premières parties. La simple amorce est monstrueusement efficace, celle-ci nous montrant un certain « Empereur Noir » empli d'assurance et de charisme, un homme qui est synonyme de changements pour la Mandchourie, avant que l'intrigue revienne quelques temps en arrière, quand cette figure n'était que le jeune Isamu Higata, garçon chétif qui n'aspire qu'à subvenir aux besoins d'une famille aimante. Comment ce dernier a-t-il pu profiter d'une telle évolution et devenir une chef de l'opium ? C'est bien ce questionnement qui pousse, d'emblée, à la lecture. Le volume prend ensuite son temps pour planter l'entrée d'Isamu dans le cercle aussi fermé que risqué des traficants de drogue. En réalité, cette introduction a des airs de descente en enfer pour le protagoniste, de son échec dans l'armée jusqu'aux choix qu'il sera forcé de prendre pour le bien des siens. Et si l'ensemble ne manque jamais d'adrénaline, c'est parce que le scénario de Tsukasa Monma sait intégrer peu à peu la dimension historique forte, notamment liée à la place de l'opium en Mandchourie. Dès lors, on passe dans le récit mafieux et l'ambiance noire que le genre implique, une évolution de style appuyée par la rencontre entre Isamu et Lihua, une femme aussi fatale qu'ambigue. Avec ce véritable lancement, force est de constater que le titre ne manquera pas d'idées. Entre l'ascension du binôme vers la conquête du pays en passant par une exposition de leur condition de laissés pour compte (qui mériterait d'être davantage appuyée), Manchuria Opium Squad plante les graines d'un récit voué à prendre de l'ampleur au fil des opus. En ce sens, on lui souhaite une certaine longévité, afin de traiter ses sujets avec efficacité, sans avoir à expédier son intrigue.
Pourtant, peut-être que l'ensemble pourra paraîtra un chouïa forcé par moment. Sans doute dans un soucis d'aller à l'essentiel, le scénario prend parfois quelques petites facilités, notamment dans la simplicité des premières actions combinées d'Isamu et Lihua. Jouer sur la condition de femme fatale de cette dernière semblait pertinent, mais le traitement qui en découle est parfois un poil caricatural. On espère donc que tout ne sera pas résolu par les décolletés de la jeune femme.
Et c'est aussi dans cette dualité entre récit à suspense et sensualité que se développe la patte graphique de Shikako pour le titre. Le mangaka est particulièrement habile pour dépeindre la noirceur du récit par ses représentations visuelles et sa narration, tout comme il se plaît à introduire une certaine frivolité, notamment par des personnages féminins toujours présentés avec de jolies formes mises en avant. Dans cette double nuance, il marque aussi l'horreur historique d'époque, aussi toute scène de nudité n'est pas systématiquement là pour régaler nos mirettes.
Il est donc indéniable que Manchuria Opium Squad doit encore faire ses preuves, et peut-être évoluer avec un peu moins de facilité par instant. Pourtant, toute l'amorce proposée est globalement plaisante, intense et efficace dans le contexte dépeint, sans compter que la touche graphique du dessinateur apporte beaucoup à notre immersion. Entre titre historique et thriller mafieux, le manga a toutes les cartes en mains pour réussir, aussi on suivra son évolution avec la plus grande curiosité.
Côté édition, Vega Dupuis livre une copie très efficace. Outre un papier fin de bonne facture, on notera la traduction de Patrick Alfonsi efficace pour servir l'ambiance de ce premier tome, ainsi que le lettrage d'Anne Demars pour servir la nuance entre les parlers chinois et japonais des personnages, et par conséquent garantir notre immersion. La maquette de couverture est signée Daphné Belt qui propose notamment un logo fidèle aux thématiques et au contexte du titre, par ses couleurs et sa bonne idée de jouer avec le motif de cercles mafieux asiatiques.
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
15 20
Note de la rédaction
15.00/20
Note des lecteurs
14/20